Publié dans Les Echos du Mercredi 30 mars 2022
Dans “Managers, not MBAs”, Henri Mintzberg définit l’immoralité analytique comme la réduction de rôle du dirigeant à une tâche technique déchargée de toute responsabilité morale quant aux conséquences de ses décisions. En résumé, il s’agit pour le dirigeant de ne voir les choses qu’au travers leur contribution à la valeur d’entreprise, en ignorant par exemple la réalité des salariés concernés par une restructuration, la capacité d’une offre à réellement répondre aux besoins des clients ou la transparence donnée à ces clients sur les risques des produits qui leur sont proposés.
C’est ainsi que des entreprises ont justifié leur rôle dans la crise des subprimes tout en échangeant des messages qualifiant ces produits de « contrats de m…e ». Ou que le président d’une des plus grandes banques du monde a pu affirmer « Quand la musique s’arrête en termes de liquidité, les choses vont être compliquées. Mais tant qu’il y a de la musique, vous devez vous lever et danser ». Ou, plus récemment ce groupe de maisons de retraite forcé de s’expliquer sur les risques de leurs pratiques comptables pour définir au gramme près les rations des résidents. La réponse du dirigeant de ce groupe illustre parfaitement le concept d’immoralité analytique : « quel serait l’intérêt de rationner l’alimentaire ? (…) Si vous baissez le nombre de résidents en ne leur donnant pas assez à manger, vous baissez votre chiffre d’affaires. ».
Face à ce risque, il ne suffit pas de renforcer les indicateurs non financiers ou de transformer le groupe en entreprise à mission : l’ajout de règles ou d’indicateurs ne peut pas être la solution à des problèmes qui résultent précisément du fait de se focaliser sur des indicateurs, en se dispensant de faire preuve de jugement. Nous disposons d’ailleurs d’un bon exemple pour rappeler que la multiplication de règles bureaucratiques ne contribue pas à introduire plus de morale dans des décisions économiques : les achats publics. La où les autres pays appliquent des textes simple centrés sur l’essentiels, la France se caractérise par des textes complexes et bavards sans que les abus ou la corruption ne soient plus faibles dans notre pays. L’accumulation de textes, de contraintes ou d’indicateurs n’a jamais augmenté la morale de ceux qui y sont soumis. Au contraire, cette accumulation diffuse un principe de défiance contradictoire avec les notions même de responsabilité et d’efficacité.
La thèse de Mintzberg, la formation des managers devrait davantage sélectionner et développer des profils pas uniquement en fonction de leur capacité techniques, mais également de leur capacité de jugement moral et à renforcer la valeur de long terme de l’entreprise. Le mode d’évaluation et de promotion des dirigeants joue également un rôle clef : une évaluation limitée aux objectifs financiers tendra à favoriser les méthodes non soutenables (accumulation de dette technique, sous-investissement induisant des risques plus coûteux que les économies, sous-investissement dans les projets dont la durée dépasse celle d’un poste), la chance et l’immoralité analytique. A l’inverse d’une évaluation plus équilibrée donnant autant de place aux résultats quantitatifs qu’à la façon dont ils ont été obtenus ou la réaction face à des situations crise – souvent révélatrice du fond d’une personnalité.
Terminons en notant que plaider pour un
retour de la morale dans le management, ce n’est pas nier la nécessité pour une
entreprise de générer un revenu suffisant pour financer ses fonds propres.
C’est au contraire reconnaître qu’il y a deux façons de tuer une entreprise. L’une
est de ne prêter aucune attention aux comptes, au risque de manquer de
ressources. L’autre est au contraire de ne regarder que les indicateurs, au
risque de perdre son âme et sa capacité d’anticiper le long terme.
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