mardi 7 avril 2020

Publié dans l'Opinion le 7 avril.


Du virus de la dette à la dette du virus

Face à un virus mal connu, fortement contagieux et d’une mortalité significative, notamment aux âges les plus élevés, une seule décision s’imposait : bloquer la progression le plus rapidement possible. Et il en coûtera : d’un côté, un nombre de victimes qui pourrait atteindre 10.000, et de l’autre un coût final estimé à au moins 3 milliards par jour de confinement. Personne ne plaidera évidemment pour réduire le second s’il  y a un risque d’augmenter le premier. Pourtant tous les pays sont régulièrement soumis à ce type de choix quand ils décident de réaliser ou non certaines dépenses de prévention, d’équipement de sécurité ou d’investissement dans le système de santé. Ils le font alors en fonction de critères multiples, dont l’efficacité de ces dépenses à réduire la mortalité. Ce sont des décisions difficiles et complexes. Pour en donner une vision simplifiée, on peut les résumer en un chiffre : la valeur statistique de la vie (VSL). En France ce montant est estimé entre 2 et 3 millions d’euros. Cela signifie notamment que si l’on choisit de dépenser largement plus que ce montant pour sauver une vie, alors le bilan humain sera négatif car nous refusons par ailleurs des investissements qui permettraient de sauver une vie pour un peu plus que la VSL.

Plus nous aurons jugulé durablement le nombre de décès, plus nous devrons nous interroger sur des modalités de confinement d’un coût plus modéré, entre le confinement physique (dont l’efficacité a été éprouvée à chaque pandémie ), le confinement numérique expérimenté sous différentes formes (dont toutes ne sont pas transposables chez nous), et les mesures permettant de limiter les risques d’un déconfinement partiel (maintien pour les populations les plus à risque, limitation du nombre de salariés présents simultanément, lissage des pointes dans les transports en commun). Car le confinement strict aura un coût considérable – les estimations l’évaluent actuellement jusqu’à 10% du produit intérieur brut (plus de 200 milliards).

Comme pour toute mesure coûteuse, on commence à assister au concours Lépine des idées pour la financer : taxe sur la richesse, sur les étrangers, sur la pollution ou mobilisation de la solidarité européenne (aussi séduisante pour les pays aux finances publiques dégradées qu’elle est rejetée par les autres).  Les propositions les plus sophistiquées reposent des mécanismes complexes à la fois budgétaires, monétaires et fiscaux pour lesquels l’identité de ceux qui en seront les payeurs est moins visible. Pour ce dernier type de cas, les français peuvent appliquer le conseil donné aux  joueurs de poker débutants : always look for the fool. If you can’t find him, it is you. S’agissant des mesures visant à rendre la fiscalité plus écologique, plus efficace, plus juste ou à  réduire la fraude, elles sont évidemment bienvenues – coronavirus ou pas. Mais il est illusoire de penser y trouver subitement 200 milliards. De la même façon, il est difficile de comprendre pourquoi les 90% de notre dette qui existaient avant cette crise devaient être gérés d’une façon différente de la nouvelle dette liée à cette crise.

Le débat sur nos finances publiques a longtemps été marqué par des efforts pour nous débarrasser du virus de la dette. Nous aurons désormais également à assumer la dette du virus. Mais les mécanismes pour réduire sa charge sont déjà connus : toute dette est payée soit par les contribuables ou les bénéficiaires des services publics d’aujourd’hui ou de demain, soit sous forme d’inflation par les ménages, soit encore, si elle est répudiée, par les épargnants et par ceux qui auront besoin de s’endetter juste après.

Vincent Champain, président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de long terme (https://longterme.org).


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