jeudi 30 mars 2017

Publié vendredi 31 mars dans Les Echos.

Les économistes ont bien des raisons d’être pessimistes face à l’épuisement des leviers de croissance : des taux d’intérêt qui ne peuvent plus baisser, un niveau record de dette publique et une population active vieillissante. Conséquence : une croissance faible, des ménages moroses et des tentations protectionnistes menacent de tirer commerce et croissance mondiale un peu plus vers le bas. Notons cependant que ces experts n’ont jamais vu venir le retour de la croissance. Tous la pensaient durablement faible en 1996, au point de convaincre le président d’alors de dissoudre l’assemblée pour réunir la majorité capable réduire le déficit sous les 3%. Or la croissance était de 1,4% en 1996, mais elle atteindra 3,6% en 1998, 3,4% en 1999 et 3,9% en 2000.

Parlez plutôt aux ingénieurs et aux chercheurs : ils seront intarissables sur le nombre de technologies émergentes prometteuses : développement logiciel agile sur le « cloud » (qui permet réaliser des applications simplement et à coût très faible, capable de saisir des gains de productivité jusqu’ici inaccessibles), edge computing (un microcontrôleur a deux euros grand comme un ongle a 4000 fois la puissance de calcul utilisée par Apollo 11 pour déposer un homme sur la lune), médecine (avec la baisse du coût du séquençage de l’ADN, la thérapie sera adaptée au patient pour plus d’efficacité et moins d’effets secondaires), intelligence artificielle (longtemps décevante, elle réalise des prouesses, comme l’identification de tumeurs sur des images médicales),  agriculture (les « fermes urbaines » passent de l’utopie à la réalité) ou énergie (les énergies renouvelables et le stockage sont plus abordables que jamais).

Pourquoi ces innovations tardent-elles à se transformer en croissance ? Erixon et Weigel (« The innovation illusion »), identifient quatre réponses à cette question. D’abord le « capitalisme gris » : une allocation des investissements réalisée par des gestionnaires d’actifs choisis pour leur compétence en finance plus que leur expertise technologique ou industrielle. Ils perçoivent bien les tendances de marché, beaucoup moins les technologies qui feront la croissance de demain.

Avec pour conséquence la seconde cause, le « management incrémental ». Celui des chefs d’entreprise choisis pour leur capacité à tenir des objectifs, à réduire l’incertitude, à réaliser des plans ou des acquisition plus qu’à imaginer de nouveaux marchés, stimuler l’innovation ou saisir les opportunités liées aux technologies émergentes. Au temps de Ford, ils auraient cherché à produire des chevaux plus rapides, pas à inventer l’automobile.

La troisième cause, indirecte, est la mondialisation : les efforts et l’attention consacrés à croître à l’international réduisent indirectement les moyens consacrés à l’innovation. En se spécialisant pour atteindre une taille critique, les entreprises perdent la visibilité de l’ensemble de la chaîne de valeur, et par conséquent leur capacité d’innovation. La dernière cause est liée à la régulation, la protection de « l’ordre public économique » étant défavorable aux innovateurs ou instrumentalisée pour protéger les acteurs en place.

L’Etat peut réagir et adopter une régulation plus favorable à l’innovation. Aider à prendre conscience du potentiel de la technologie, notamment via la formation initiale et la publication de roadmaps technologiques. Réduire les déficits publics en ciblant les économies de fonctionnement pour rééquilibrer l’épargne allouée à la dette publique vers les investissements innovants, tout en réduisant son propre retard technologique. Eviter les contre-signaux : voiture électrique régionale, fourchette connectée, taxe sur les robots.

Pour les entreprises matures, distribuer une grande part des profits n’est pas un mal en soi : cela permet de réallouer des fonds vers des secteurs en croissance. Grâce aux méthodes agiles, la transformation numérique des entreprises industrielles peut passer par une succession de projets, chacun rapidement rentable. La question n’est donc pas celle du volume des investissements, mais de leur nature - « digital washing » ou réel engagement sur des projets structurants ? Un Chief Digital Officer symbole d’une transformation inachevée ou ayant mission et moyens pour réellement impliquer les directions opérationnelles ?

Ce qu’il y a entre l’optimisme technologique et le pessimisme des économistes n’est donc pas une contradiction. C’est une illusion dont nous sommes à la fois causes et victimes, et qu’il ne tient qu’à chacun d’entre nous de dissiper.


Vincent Champain, cadre dirigeant et président de l’Observatoire du Long Terme (http://longterme.org)

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