mercredi 1 février 2017

Publié dans l'Opinion



Mi-juin 2016, Amazon a lancé à Paris son service « Prime now » qui permet d’assurer une livraison en moins d’une heure. La réaction de la Mairie de Paris, inquiète de l’impact sur le commerce de proximité de Paris, a été immédiate. Personne n’a alors évoqué l’effet sur les pharmacies. Imaginez le scénario : après son examen, votre médecin généraliste réalise une prescription connectée des médicaments dont vous avez besoin. 30 minutes après, vous voilà à votre domicile. Le temps de refermer la porte, le livreur est là avec vos médicaments ! Vous disposerez en ligne d’informations certifiées sur la prise des médicaments, et des capteurs connectés suivront le contenu de votre armoire à pharmacie et les dates de péremption ou de renouvellement de vos médicaments.

Le rôle des pharmaciens d’officine a historiquement été la préparation des médicaments mais elle s’est réduite aujourd’hui à un rôle de revente de produits finis, complétée d’un rôle de conseil. Or, avec internet, on peut facilement imaginer un service aussi efficace et moins cher que les officines. La pharmacie d’officine doit donc être réinventée, faute de quoi elle risque à l’avenir de cesser d’apporter une valeur ajoutée suffisante au système de santé. Elle sera alors difficile à soutenir dans le contexte d’une hausse des dépenses d’assurance maladie plus rapide que celle du revenu des Français.

Or le modèle économique de la pharmacie d’officine en France est d’ores et déjà en difficulté : même s’il reste 22000 pharmacies, il s’en ferme une tous les 2 jours en France. Et ce malgré la protection de la réglementation qui garantit aux pharmaciens le monopole de distribution des médicaments, ou qui empêche toute consolidation en interdisant à un pharmacien d’être majoritaire dans plus d’une pharmacie et à des non pharmaciens d’en être actionnaires.

La situation est très différente en Amérique du nord ou dans certains pays européens. Ainsi, Walgreens aux USA dispose de plus de 8 000 points de vente, emploie plus de 200 000 employés et a un budget supérieur à 70 milliards de dollars. Du côté Français, ce sont des officines indépendantes avec un revenu compris entre 1 à 20 millions d’euros. Si l’on avait procédé de même pour les épiceries, Carrefour et d’autres champions mondiaux de seraient pas Français aujourd’hui ! Ceci n’est pas anodin dans un contexte mondialisé dans lequel la distribution est aussi un moyen d’exporter le « made in France ».

Personne ne croira que le déni et le maintien de la réglementation actuelle suffiront éternellement. Les praticiens biologistes en savent quelque chose : leurs laboratoires appartiennent désormais à de grands groupes dont les biologistes sont devenus des salariés. Voulons-nous qu’après-demain ces groupes soient tous étrangers ? Si nous voulons l’éviter, la première décision serait de laisser nos futurs champions se développer, en autorisant la consolidation des officines sous l’égide de pharmaciens, le temps de former 3 à 4 champions nationaux. Cela avant de les ouvrir à la concurrence internationale, et tout en respectant une éthique française qui interdit la publicité, laisse l’Etat fixer le prix du médicament, et préserve son indépendance par rapport à l’industrie.

L’autre mouvement consisterait à faciliter l’extension des activités dites « médicales ». Un pharmacien est en effet un doctorant tout à fait apte à réaliser certains soins – par exemple certaines vaccinations de l’adulte (DTP ou grippe). Les pays qui l’ont tenté ont pu augmenter la couverture vaccinale sans altérer la qualité des soins. La prise en charge de certaines maladies chroniques pourrait également être réalisée par des pharmaciens, notamment dans les zones souffrant de pénurie médecins.

Ces pistes ne sont que deux exemples parmi l’ensemble des activités que les pharmaciens pourraient apporter au système de santé en remplacement de celles qui risquent fort demain d’être réalisées autrement. Nous priver de cette réflexion, c’est peut-être donner l’impression de protéger la pharmacie aujourd’hui, mais c’est la condamner demain. Or ni les patients, qui pourraient bénéficier de soins supplémentaires, ni les pharmaciens, dont la qualification est insuffisamment valorisée, n’y ont intérêt.


Pr Mehdi Mejdoubi (médecin) et Dr Paul Coquet (pharmacien) pour l’Observatoire du Long Terme.

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