samedi 23 mai 2015

Serge Guérin, sociologue français, spécialiste des questions liées au vieillissement et aux enjeux intergénérationnels. Il est docteur en sciences de l'information et de la communication, professeur à l'ESG Management School et enseigne dans le Master « Politiques Gérontologiques » de Sciences Po Paris. Il est également chercheur associé à l’Ehess. Il évoque pour l’Observatoire du Long Terme les problèmes liés à la retraite.



Quel est l’état des lieux de la population des seniors en France ?

Il y a en France environ 15 millions de retraités pour une pension moyenne d’environ 1300 euros par mois. Soit approximativement 1000 euros pour les femmes et 1600 pour les hommes. C’est modeste, pas pauvre mais c’est la génération où il existe le plus grand écart social. C’est logique. Ici on n’intègre pas les questions de patrimoine qui viennent renforcer les choses.

Plus on avance en âge plus les revenus moyens sont en baisse. Les plus de 60 ans ont des revenus moyens plus élevés que la moyenne des Français, mais vers 75 ans on redescend de façon importante. On peut aussi noter que 15 à 20% de seniors qui vivent dans des conditions très favorables avec plus de 4000 euros et plus encore. 

Certains appartenant à cette catégorie sont issus de la fonction publique et même de la haute fonction publique. Ce sont les mêmes qui disent souvent qu’il faut faire des efforts sur les retraites. 2/3 des retraités sont dit populaires, artisans, ouvriers petits commerçants, revenus très faibles. Et 600000 personnes sont au minimum vieillesse soit environ 800 euros/mois… Ce sont des situations très rudes.

Aujourd’hui, des personnes ont cotisé et estiment avoir des droits. D’un autre côté, les plus jeunes cotisent sans savoir ce qu’ils toucheront. Comme rééquilibrer ce système ?

Recevoir une retraite, c’est comme le disait le sociologue, Robert Castel, « recevoir quasiment un salaire différé ». C’est parce qu’on a cotisé qu’on reçoit ensuite. Même si dans la période récente, 40 ans, les cotisations sont parfois intermittentes à cause du chômage, du changement d’activité etc.

C’est vrai que dans les enquêtes que j’ai pu faire, sondages que j’ai pu lire, les conférences que j’ai pu faire, c’est impressionnant de voir le nombre de fois où des – de 40 ans reviennent sur le fait de dire « nous on aura rien à la retraite ». Ce qui correspond d’ailleurs à ce qu’avait dit un jour un ministre : « Une retraite sur 10 n’est pas finançable… ».

Les gens se disent on aura rien. C’est en quelque sorte une défaite de la retraite par répartition, et d’autre part c’est inquiétant. Car si les gens cotisent c’est qu’ils se disent qu’un jour ils récupèreront la mise… Si on imagine que sur les – 25 ans plus du tiers pensent qu’ils n’auront pas grand-chose, voire pas du tout…

Ce pourcentage augmentera avec le temps. Et à chaque fois que l’on aura une réforme, elle aura cet effet angoissant -  d’autant qu’on multiplie les petites réformes au lieu d’en faire une vraie bonne… On est à un moment délicat ou des séniors commencent à dire que leur retraite n’est pas toujours au niveau, des nouveaux retraités qui voient souvent des écarts de 50% ou plus entre le dernier salaire et la première pension. Et de l’autre côté des jeunes qui rentrent de plus en plus tard dans le monde du travail et qui se disent : « On cotise en pure perte ».

Globalement le débat capitalisation/répartition a un peu disparu, du fait des crises financières. Car les gens ont bien vu que la capitalisation va être problématique aussi. Il suffit de se rappeler de la situation de l’Espagne, de l’Italie ou même l’Angleterre durant la dernière crise.

Les gens se tournent donc vers des stratégies individuelles : « Il me faut une stratégique personnelle pour assurer mes arrières, en plus d’un système collectif qui ne me donnera rien ». Malheureusement, tout le monde ne le peut pas. Lors d’une étude que j’ai suivie réemment, on s’était rendu compte que finalement il fut que les gens économisent beaucoup pour avoir une retraite convenable. Mais beaucoup sont déjà au maximum de ce qu’ils peuvent épargner…

Nous sommes face à une sorte de défaite idéologique de la solidarité traditionnelle au sens où beaucoup sont convaincus que ça va être très compliqué. Dans cette société qui manque de confiance, où les gens ont de moins en moins confiance en leurs institutions, en l’avenir, dans le pays et en eux. Plus on descend dans l’échelle sociale moins les gens sont confiants. Beaucoup se disent on ne fera rien pour moi et je ne ferai rien pour les autres. Les gens s’isolent.

Y-a-t-il des pays référence ou des modes de fonctionnement référence, en Europe et même dans le monde ?

Oui, et notamment ce qui avait été porté un temps en France par la CFDT et mis en place en Suède… Il y a 20 ans. Des systèmes par points, où on sait combien on aura car c’est en fonction de ce que l’on gagne, en fonction de son activité. Et en plus le point bouge en fonction de la démographie, des équilibres... Le point augmente ou baisse aussi en fonction du nombre de personnes âgées. Les gens peuvent mieux savoir ce qui se passe et savent qu’on équilibre les choses de telle sorte que les revenus seront garantis puisqu’on équilibre « automatiquement » le régime sans distribuer plus qu’on ne possède.

Quelles sont les différences factuelles qui font qu’eux y arrivent et pas nous ?

Parce qu’ils sont Suédois et nous Français… Cela fait trente ans, que j’entends des gens s’interroger sur l’emploi  des seniors en Finlande notamment. Mais il ne faut pas oublier que chez eux, il y a une culture du consensus qui n’est pas la nôtre. Et puis une politique de « sécurisation des parcours professionnels », en suède, au Danemark, en Norvège, Finlande permet à tous ou presque d’avoir un emploi. En France, on tente – avec des résulats très mitigés – de garantir un revenu, même sans emploi. La dignité de la personne, c’est de lui permettre en l’aidant, en l’accompagnant, en l’adaptant, à trouver du travail. Chez nous on achète la paix sociale…

Là-bas, même des gens fragiles accompagnés dans le temps peuvent faire des choses… C’est intéressant pour la dignité des personnes mais a pour aussi réduire les coûts pour la société. C’est du gagnant /gagnant.

Comment amorcer cette « pompe » à Succès ?

En cherchant à valoriser, et pas uniquement à indemniser ! On dit que 15 millions de retraités coûtent à la société…Il ne faut pas s’arrêter à cela car ils apportent, ou pourraient apporter, beaucoup de choses. Cela doit être valorisé. Aller chercher les petits enfants, faire de l’associatif,… Tout cela peut se chiffrer. Il faudra alors valoriser l’activité, des retraités, mais aussi des étudiants ou la recherche active d’emploi comme l’avaient théorisé Jacques Attali et Vincent Champain. C’est sans doute autour de cela qu’il y  a quelque chose à inventer.

A vingt ans, le déficit des retraites est estimé à 50 milliards par an. A quoi pourrait ressembler une vision de long terme sans déficit ? Une vision un peu idéale…

Dans 20 ans cela veut dire que cela touchera des gens qui ont à peu près 45 ans aujourd’hui. Pour moi, dès lors que l’espérance de vie a largement augmenté, il faudrait travailler plus longtemps. Quand on travaille, on crée d’autres activités, mais en même temps avec des économies stagnantes comme les nôtres…
Je suis persuadé qu’il existe des gisements d’emplois colossaux, à travailler autour des services à la personne : personnes âgées, handicapées, éducation. Il y a des centaines de milliers d’emplois à créer. Des choses sont à développer.

Mais il ne faut pas oublier non plus que dans 20 ans, vont arriver à la retraite des gens qui auront eu des carrières professionnelles beaucoup plus heurtées qu’aujourd’hui, avec des niveaux de retraites plus bas. Avec de lourdes conséquences sur la consommation notamment dans des territoires ruraux, qui aujourd’hui vivent, trouvent leur équilibre financier grâce aux retraités. Les maisons de retraites dans certaines petites villes, relancent la vie de ces villes, emploi, vie sociale, école…
Dans l’idéal, 5 à 6% d’activité supplémentaire règlent la question. Si la dessus, la démographie baisse (la baisse des allocations familiales pourrait avoir un rôle là-dessus) cela peut suffire à boucler l’équation.

Recueilli par Eric FROMENTIN
Secrétaire général et rédacteur en Chef de l’OLT.

(*) Plus de 75% des retraités sont propriétaires de leur logement. 

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