vendredi 9 mai 2014

Paru dans le magazine Résonance Avril-Mai 2014

Une double transition : énergétique et climatique

La notion de transition énergétique recouvre deux réalités distinctes plus ou moins marquées selon les pays : une transition atomique qui vise à sortir du nucléaire et une transition climatique qui a pour but de réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’Allemagne, par exemple, peut donner l'impression d'avoir fait le choix, à ce jour, d’une transition “atomique mais anticlimatique” : pour réduire la part du nucléaire dans son mix énergétique, ce pays augmente ses consommations de charbon, ce qui se traduit par un retour en arrière, au moins temporaire, sur le climat. 

Aux USA, la transition est « climatique par chance » : les émissions ont diminué pour une raison qui découle moins d’une volonté publique que d’une innovation technologique : c’est le recours au gaz de schiste, au détriment du charbon, qui a pour conséquence de réduire très fortement les émissions de CO2 : ainsi, pour des raisons d’économie et sans l’avoir réellement voulu, les USA se retrouvent avoir une meilleure progression que nous sur le terrain de la lutte contre le réchauffement climatique. Car il est faux de dire que l’Europe fait tout, et les autres pays ne font rien. Par exemple, le gouvernement chinois vient de décider la fermeture des centrales à charbon situées en périphérie des grandes villes. Et si la principale motivation est de lutter contre les particules qui polluent l’air urbain, force est de constater que l’effort est là alors qu’il est loin d’aller de soi pour un pays émergent dont une partie de la population possède encore un niveau de vie très faible.et que la Chine pourrait, bien, elle aussi, faire mieux que l’Europe en matière de lutte contre les émissions de CO2

Contrairement à bien des idées reçues, les “bons élèves” ne sont donc pas forcément européens et, pour le même coût, on faire beaucoup plus pour le climat en remplaçant le charbon ou le pétrole par le gaz qu’en posant des panneaux solaires.

Le charbon massivement favorisé par les prix de marché

En ce qui la concerne, la France est aujourd’hui engagée dans une transition que l’on peut qualifier de “demi-atomique / demi-climatique” : notre pays entend réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité tout en limitant ses émissions de gaz à effet de serre… Mais le plan concernant le climat reste à définir : en 2012, le charbon est la source d’énergie qui a le plus progressé dans le mix électrique français. Et cette simple évolution, poussée par la baisse du prix du charbon, a effacé à elle seule 2/3 des bénéfices de la dernière campagne de certificats blancs !

Ce constat amène deux questions. On peut tout d’abord se demander pourquoi, malgré les discours et les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique, nous continuons à développer malgrès nous des solutions comme le charbon. La réponse tient au fait que l’énergie fonctionne avant sur une logique de marché : dans un marché, les acteurs réagissent avant tout aux prix, et ils ne disposent d’une marge de manœuvre très limitée pour aller dans un sens différent. Dans ces conditions, une politique de l’énergie consiste non pas à annoncer des ambitions puis à laisser les opérateurs énergétiques face à des prix de marché qui leur disent l’inverse, mais au contraire à ajuster les prix de façon à ce que l’ensemble des acteurs aillent dans le sens souhaité. Et comme ajuster les prix coûte de l’argent – il s’agit de subventionner et/ou de taxer – il faut le faire là où on peut réduire les émissions de co2 avec le moins d’argent possible. Or si l’on fait ce calcul actuellement, c’est en développant le gaz face aux autres énergies fossiles qu’on obtient le « coût par tonne de co2 économisée » le plus bas : pour le même coût économique, on réduit 4 fois plus les émissions de co2 en favorisant le gaz face au charbon qu’en recourant aux formes d’énergies renouvelables les plus coûteuses.

On peut, par exemple, encourager davantage les usages du gaz pour la cogénération. On pourrait, tout en soutenant la mobilité électrique, développer beaucoup plus la mobilité au gaz:lka conversion au gaz d’un véhicule d’entrée de gamme (par exemple une Dacia) coûte quelques centaintes d’euro, alors qu’une voiture électrique coûte encore plus de trois fois le prix, en incluant le prix des batteries. Certes la seconde émet moins de co2 et représente une voire d’avenir qu’il faut sans doute soutenir, mais la première est la seule à être accessible aujourd’hui pour beaucoup de ménage. Les deux ne devraient donc pas être opposées l’une à l’autre car elles sont complémentaires !

Le prix du CO2 n’est pas à la hauteur des dégâts qu’il cause sur le climat

L’idée que l’Etat intervienne dans le marché peut semble étrange – en effet, quand ces marchés de l’énergie ont été créés, on a expliqué qu’ils permettraient d’avoir moins d’interventions publiques, et des prix plus bas ! Pour le comprendre, il faut revenir à ce qu’est un marché : c’est un lieu où l’on échange librement, mais qui ne fonctionne bien que dans la mesure où l’on peut donner un prix à tout ce qui a une importance. Or aujourd’hui, la tonne de CO2 a un prix dont toutes les études montrent qu’il est largement inférieur à ce qu’il devrait être. En effet,  en Europe, le prix de marché du CO2 (défini par un autre marché, celui des droit d’émission) est de 4 à 6 euros par tonne alors qu’il a été démontré que du fait de son impact sur l’environnement, son coût économique réel est de l’ordre de 30 euros. Si l’on avait été capable de mettre en place un système de marché qui fixe à 30 euros le prix d’une tonne de CO2, le gaz passerait naturellement devant le charbon, qui émet deux fois plus de CO2…

Autrement dans un monde économique idéal où les émetteurs de CO2 payent le juste prix de leurs émissions, le gaz serait l’énergie de premier choix. Mais nous ne sommes pas dans un tel monde.Notamment parce que le dispositif qui définit le prix de la tonne de CO2 a été conçu sur la base d’hypothèses de croissance d’avant la crise qui ne se sont pas vérifiées, et aussi parce que l’Europe reste divisée sur le sujet, certains pays étant fortement attachés au charbon. Dans ces conditions, pour corriger ce déséquilibre entre le prix d’une ressource et ce qu’elle coûte vraiment à la planète et à ses habitants, il est nécessaire de recourir à des subventions qui permettent de “corriger un défaut de marché”. Et cette correction est indispensable : si les préoccupations actuelles liées à la crise économique et au pouvoir d’achat l’ont fait passer un peu au second plan dans la plupart des pays du monde, le réchauffement climatique est une affaire très sérieuse : différents rapports ont récemment confirmé que ce réchauffement est effectif, qu’il est très probablement d’origine humaine et qu’il y a un intérêt essentiel à essayer de le maîtriser.  Evidemment, le problème du climat étant mondial la France peut montrer l’exemple, mais elle doit également se soucier de ne pas avancer seule – c’est tout l’enjeu du sommet mondial sur le climat qui aura lieu à Paris en 2015.

Le réchauffement climatique : un pari industriel

La transition énergétique ne peut évidemment pas se limiter à constater les prix de marché et à la faire évoluer à la marge. La question posée est également celle du développement de nouvelles formes d’énergie, de consommation et de stockage – dont beaucoup sont encore coûteuses aujourd’hui, mais quiont le potentiel pour être abordables demain. Face à la multitude des technologies possibles, la question qui se pose actuellement est de savoir où et comment investir.
Il n’y a pas de réponse simple à cette question, mais certains paris sont moins risqués que d’autres. Ainsi , on commence aujourd’hui à injecter du biogaz dans les réseaux français de transport et de distribution du gaz naturel, mais pour que cette pratique se développe réellement, il faut à la fois étendre les réseaux et permettre à de nouveaux acteurs de s’y connecter – ce qui va poser des questions à la fois technique, juridiques et commerciales. Autre exemple : développer la mobilité au gaz suppose de déployer le réseau de distribution ad hoc. Mais ce réseau n’a de sens que si, paralèlellement, la mobilité au gaz (voiture, mais aussi bus ou camions) se développe également. Nous sommes donc face à un véritable changement de paradigme qui doit être anticipé d’une façon cohérente.

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