jeudi 10 octobre 2013

Par Frédéric Benqué, investisseur



Les plupart des réformes difficiles bénéficient à tous à long terme, mais se heurtent à l'opposition de "perdants" à court terme. Et si la meilleure solution pour réussir à faire valoir l'intérêt général de long terme était d'indemniser ces "perdants" ?

Dans la théorie économique classique, l’Etat justifie son existence sur la foi de deux principes fondamentaux.

Le premier, évident, est celui de l’existence d’un concept intérêt public que l’Etat serait le seul à pouvoir poursuivre de manière efficace. La police, l’armée, l’éducation, la recherche, relèvent en tout ou partie de la sphère de l’Etat en tant qu’éléments constitutifs de l’intérêt public, et sont parfois appelées du nom plus technique d’activités génératrices d’externalités.

Le deuxième principe, moins connu, repose sur la continuité de la chose publique. L’Etat agit comme un garant des contrats sociaux - explicites ou implicites – dans la longue durée - c’est à dire au delà de la vie de chacun - et c’est la seule entité économique qui ait la crédibilité pour le faire. En d’autres termes, l’Etat justifie son existence actuelle par sa présence crédible à long terme.

L’objet de ce court article est d’illustrer comment cette maîtrise du temps long pourrait être utilisée pour réformer le présent. L’idée n’est pas nouvelle, elle consiste à proposer une compensation des rentes - au sens économique du terme - pour surmonter les blocages sociaux et restaurer le potentiel de création de valeur de l’économie. Le concept est expliqué en détail dans le livre « La fin des privilèges. Payer pour réformer » de Jacques Delpla et Charles Wyplosz.

Choisissons un exemple élémentaire pour en illustrer le principe : le secteur des taxis. Il est évident que ces derniers ne sont pas en nombre suffisant dans la plupart des villes françaises.

Une solution naturelle consisterait à doubler leur nombre, mais pour simple qu’elle soit, cette solution serait aussi très injuste envers les propriétaires actuels de licence qui en verraient la valeur réduite de moitié.

Une solution plus complexe mais plus juste reviendrait pour l’Etat à racheter à chacun sa licence, puis d’ouvrir la profession à tous ceux capables de passer l’examen, l’octroi de licence étant aboli à l’avenir. Le « long terme » intervient pour rendre ce schéma finançable, sous la forme d’une contribution sur les courses à venir et couvrant le coût financier du rachat initial des licences par l’Etat. Au point d’arrivée de la réforme, chacun y trouverait son compte, l’utilisateur qui verrait le nombre de taxis augmenter pour équilibrer la demande, les nouveaux chauffeurs de taxi qui n’auraient plus à payer leur licence pour entrer dans la profession – et pourraient consacrer une partie de ces sommes à de nouveaux services innovants -, les anciens chauffeurs qui verraient leur licence valorisée au juste prix avant son abolition.

Une objection d’ordre moral est généralement faite au rachat des rentes par l’Etat. Il ne serait pas juste vis à vis des autres, ceux qui ne reçoivent rien, qu’une activité économique puisse à la fois s’appuyer sur une rente et en bénéficier du prix de rachat. Depuis quand paie-t-on le monopole pour cesser d’en être un ?

Certes mais on oublie aussi un peu vite que les personnes qui se sont engagées dans une voie l’on fait sur la foi d’une structure légale établie à la date de leur engagement. Modifier le cadre légal sans dédommager personne, ne serait-ce pas une injustice plus flagrante encore ?

Par ailleurs, si le rachat de la rente conduit ensuite à une situation créatrice de valeur pour l’ensemble de la société, ce qui compte in fine c’est le bien-être net dégagé par la réforme. En d’autres termes, si la réforme fait un grand nombre de gagnants au prix de dédommager un petit nombre de rentiers, le rachat de la rente profite aussi à ceux qui n’auront rien reçu.

Wyplosz et Delpla montrent dans leur livre que la même méthode peut être appliquée à un très grand nombre de réformes cardinales (éducation, retraites, fonction publique, marché du travail) d’une façon qui permet d’accroître le potentiel de croissance sans léser telle ou telle catégorie. Nous ne nions bien entendu pas les difficultés techniques, mais ne serait-il pas intéressant pour l’Etat et pour nous, de penser au futur quitte à payer au présent ?



0 commentaires:

Enregistrer un commentaire